LES MÂLES ALPHA
Le primatologue Frans de Waal a toujours dénoncé la vision stéréotypée des mâles dominants chez les primates. Leur taille et leur force physique indéniable ne signifient pas forcément qu’ils sont destinés à dominer les femelles. Chez les chimpanzés dont l’agressivité est reconnue, le mâle alpha est accompagné d’une femelle alpha dont un des atouts est l’âge et dont l’autorité dans le groupe est incontestée pour gérer les conflits. Le mâle dominant change régulièrement, parfois contesté et mis à la porte, parce que trop tyrannique, par une sorte de coalition d’autres chimpanzés. Même s’il est jeune et vigoureux, sa domination ne repose pas toujours sur la force physique. Il lui arrive même de faire preuve d’empathie, de protéger les opprimés ,et de mettre fin aux bagarres. Il peut aussi parfois quitter tout seul sa position de chef et l’abandonner à un autre.
Le mâle dominant humain politique, entré souvent dans une maturité avancé, ne peut plus jouer toutes ses cartes sur la force physique qu'il admire cependant. Poutine surjoue encore la virilité, pêchant, il n'y a pas si longtemps encore, torse nu dans une eau glaciale. Trump par ses nombreuses remarques misogynes et l'affirmation d'une virilité stéréotypée, parlant même de façon à peine voilée de la taille de son pénis, se veut le défenseur des hommes blancs en colère. Erdogan incarne un idéal masculin qui s'appuie sur un traditionalisme patriarcal et islamiste. Orban a fait introduire le sexisme dans les manuels scolaires affirmant même que les garçons et les filles n'ont pas les mêmes capacités physiques et intellectuelles, et incitant les femmes à rester au foyer. Ami d'Orban, de Trump, de Bolsonaro, et bien qu'intellectuel instruit, Netanyahou ne dédaigne pas d'arborer la panoplie du soldat et la montre Panerai Luminor, célèbre montre de combat. Leurs marques extérieures de masculinité se combinent bien sûr, pour ces chefs d'état, avec une gouvernance autocratique de leur pays.
Ils utilisent la menace, la peur, l'élimination de leurs opposants, la propagande, l'utilisation des fake news, et en ce moment la guerre, pour asseoir leur pouvoir et le maintenir quasiment à vie. Sans oublier la religion qui devient source d'oppression, et la négation des valeurs démocratiques devenue, elle, un principe de gouvernement et d'accord avec d'autres mâles alpha au pouvoir. Quant à leur machisme, il a fait reculer la position et le droit des femmes de plusieurs dizaines d'années.
Reconnaissez-vous là le mâle alpha des primates? Où sont les femelles alpha? Où sont l'empathie et la protection des opprimés? Où sont les départs volontaires? Le renouvellement des chefs? Est-ce à dire que le mâle alpha humain est plus "bestial" que ces " congénères animaux? En tout cas son image essaime chez les jeunes hommes dans beaucoup de pays.
Parallèlement à la reconnaissance des droits des femmes, un mouvement d'hommes frustrés et leur vouant même une profonde haine est né aux Etats unis. Il s'est propagé dans de nombreux pays, utilisant tous les canaux possibles à sa disposition. Réseaux sociaux, Tik Tok en particulier et ses tutos pour devenir un mâle alpha, mais aussi associations, personnalités, à l'origine de cette manosphère de communautés masculines en ligne. Faisant référence à des normes culturelles et sociales qui définissent les comportements d'un " vrai " homme, les masculinistes toxiques se doivent d'être dominants physiquement et de remettre les femmes à leur juste place. Conservateurs réactionnaires et décomplexés ils adhèrent souvent à l'image et aux comportements de nos mâles alpha politiques. Par ailleurs l'extrémisme religieux, la sanctuarisation de la force physique dans certains sports, ou la sacralisation du pouvoir ont tendance à amener les hommes à se considérer comme dominants dans la sphère privée ou publique. Espérons cependant que hommes et femmes "normales" des années futures n'auront pas à vivre dans un monde où le mal(e) est partout.