FAIT D’HIVER

Un gisement blanc

L'or blanc, on l'a longtemps cru inépuisable et plus écologique que l'or noir. Et à raison avant ces dernières années. Respirer l'air de la montagne, pratiquer un sport de glisse souvent grisant, dans un cadre plutôt privilégié, voilà un loisir qui semble blanc comme neige. Même si seulement à peine un tiers de la population française investit chaque année les stations de ski, presque la moitié des français ont pratiqué un jour ou l'autre ce sport d'hiver grâce, en particulier, à l'essor dans la deuxième moitié du XXème siècle des classes de neige. Les Jeux Olympiques d'hiver de Grenoble en 1968 et ses retransmissions télévisées ont bien contribué à vulgariser un sport qui était pratiqué plutôt par des initiés, des parisiens aisés ou des locaux et ce dans les premières stations françaises, comme Chamonix, Megève ou l'Alpe d' Huez. Stations soit implantées à partir d'un village de montagne, soit créées à partir de rien ou presque, un petit hôtel de quinze chambres à Huez par exemple. C'est avec le plan Neige de 1964 que l'on passe vraiment à la vitesse supérieure avec édifiant de grands ensembles, souvent en forme d'amphithéâtre pour s'adapter au relief montagnard, Flaine, Tignes, La Plagne par exemple, que viendront compléter, dans les années 80, des stations villages intermédiaires, proposant au public des centaines de milliers d'appartements.

Pour en arriver en 2022 à total de 232 stations de ski alpin.

Au pied de ses immeubles, et jusqu'aux sommets, et jusqu'aux glaciers, on a donc vu fleurir quelque 3000 remontées mécaniques, parfois au mépris des paysages alpins. Toutes ces installations ont permis aux stations françaises de recevoir environ 10 millions de touristes par an et de générer un chiffre d'affaires annuel de plus d'un milliard d'euros. Elles ont aussi tiré vers le haut des populations locales qui ont pu faire face à la crise de l'agriculture ou de l'industrie dans les vallées alpines et trouver des emplois, près de 120000, dès l'ouverture des stations. Voire même qui ont investi dans des magasins, des restaurants, des remontées, ou dans le domaine foncier lui-même. 




Un gisement de moins en moins blanc

Et puis les roulements se sont grippés. D'abord avec le covid puis avec cette prise de conscience, progressive pour certains, plus franche pour d'autres, que le gisement d'or blanc pouvait se tarir avec un déficit en enneigement de moins en moins prévisible et de plus en plus fréquent.
Le manque de neige pour Noël 2022 en dessous de 1200 mètres a rappelé, surtout aux stations de moyenne montagne que l'avenir à défaut d'être sombre sera à repenser. Même les glaciers, comme celui de La Plagne, ont vu une diminution de leur épaisseur, ce qui a conduit  les responsables de la station savoyarde à décider la fermeture des pistes de ski du glacier et le démontage de ses remontées mécaniques. Le réchauffement climatique plus fort encore en montagne va donc rebattre les cartes. Et ce d'autant plus que tous les aménagements d'une station génèrent un malus écologique élevé. Entre la consommation électrique des remontées, des enneigeurs, de la plupart des passoires thermiques, la pollution engendrée par les véhicules des touristes et les modes de transports et la consommation d'eau, rien ne contribue vraiment à la sobriété énergétique. D'ailleurs l'augmentation des tarifs de l'énergie pourrait fragiliser l'équilibre financier de certaines stations.  Et c'est sans prendre en compter la destruction des paysages montagnards et des dommages causés à la flore et la faune.

Des puits de verdure

Pour faire face à ce qui pourrait devenir un désastre humain et économique, les stations de ski doivent se réinventer. Certaines n'ont pas attendu ce constat amer pour repenser leur futur. Il tombera encore de la neige en montagne mais la question qui se pose est " à quelle altitude et quand ? ". Il est à peu près certain que le plaisir de skier pourra être satisfait. Mais il est aussi à peu près certain que les remontées mécaniques, dans beaucoup de stations, ne génèreront plus autant d'emplois et de bénéfices.
L'atout principal des stations de ski , cela peut être aussi, paradoxalement,  le réchauffement climatique. En effet durant les périodes de plus en plus nombreuses de canicule la montagne, avec ses températures un peu plus clémentes pour pratiquer des activités, a tout pour plaire. Aux stations de proposer hiver, comme été, ce que beaucoup font déjà, d'autres pratiques que le ski. Les villages de moyenne montagne sont d'ailleurs en première ligne pour un offre de tourisme plus authentique, avec leur patrimoine architectural , leurs activités agricoles, et leur ambiance village.. Quant à continuer à utiliser les enneigeurs ou le snowfarming pour stocker la neige ( produite souvent par des canons ) , les limites financières et écologiques de ces pratiques vont vite atteindre un plafond s'il y a de plus plus de pistes à enneiger.
Alors il faudra nécessairement reconsidérer le mode de vie dans les stations. Les adapter davantage à un public de plus en plus âgé, offrir des lieux de résidence plus grands pour que tous puissent y vivre agréablement une partie de la journée pour y faire, par exemple, du télé travail et donc y rester plus longtemps. Appartements plus grands mais mieux isolés aussi pour faire baisser la facture énergétique et dont la location serait mieux répartie sur l'année et respecteraient donc des tarifs plus raisonnables. Et pour cela il faudra peut-être aussi revoir la répartition des vacances scolaires et de ce sacré mois de février dédié aux vacances d'hiver. Bon courage à ceux qui pourraient s'y atteler sans faire appel à un cabinet conseil ...

Un petit effort encore pour proposer d'autres activités même s’il neige beaucoup sur la Suisse…


Bien sûr il n'est pas question de dire non au ski tout en sachant qu'il sera, dans les années futures, impossible pour les acteurs économiques de remplacer le chiffre d'affaires lié à cette pratique et nécessaire pour les pratiquants de ce sport de s'adapter aux changements en cours. Quant aux futurs investissements eux aussi devront être très adaptatifs.


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