ALOUETTE, GENTILLE ALOUETTE

Moi, Alauda arvensis, dite Alouette, je déclare ici ne pas du tout aimer cette chanson. Certes, on nous chasse moins qu'auparavant. Mais il nous faut encore faire attention aux filets et aux cages qui servent à nous capturer. Et la suite me devient insupportable à imaginer.  Pour nous plumer, nous manger? J'en ai froid dans les plumes.
Et pourtant, les miens et moi vivons tranquilles dans les champs, aimant marcher ou courir sur le sol, le plus discrètement possible, pour le fouiller et trouver notre nourriture, grains, semences, vers de terre et insectes.. Je devrais dire, nous vivions tranquilles. Car depuis  un certain nombre d'années, il se chante de génération en génération un tout autre refrain.
Il se tirelire que les grains n'ont plus le même goût, qu'ils ont d'étranges couleurs vertes et bleues. Que les vers de terre se font de plus en plus rares dans des champs de plus en plus grands. Que les insectes sont de plus en plus difficiles à trouver dans les haies et les buissons, quand il y en a, que fréquentent mes cousines, les alouettes Lulu.
Mon compagnon m'a fait une grande frayeur lorsqu'il essayait de me séduire au mois de février par son vol nuptial. Il s'est laissé tomber sur le sol comme c'est la tradition, mais il a semblé perdre connaissance. Finalement il s'est relevé mais il n'avait pas l'air très en forme. Je me suis demandé si ce ne sont pas ces graines rouges que je l'ai vu ingurgiter qui ont été la cause de cet étourdissement. Depuis son plumage me semble moins brillant et ses pattes plus raides. Nous allons quand même rester ensemble pour nous occuper des petits. Mais je me fais du souci pour lui et pour l'avenir de nos oisillons.

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Lorsqu'arriveront les premiers froids, nous nous réunirons en bande avec nos amis pinsons, fauvettes et rouges-gorges, mais j'ai l'impression que nous serons moins nombreux que l'année dernière. Et je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que je survole cet énorme insecte qui parcourt régulièrement nos champs s'étendant à perte de vue , je ressens un certain malaise. Pourrons-nous  encore retrouver des zones ouvertes et enherbées ? Pourrons-nous encore picorer sans crainte grains de blé, pousses de betteraves ou vers de terre? Je ne peux que pousser un " tchiirrp" de détresse en vol ou grisoller pour alerter les occupants de ce champ. Mais comprendront-ils  toute l'étendue de mes notes avant que je disparaisse ?
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L’HOMME UN ANIMAL PIRE QUE LES AUTRES ?