LES CONTEMPLEES
Bien que je sois une grande lectrice, peu d'ouvrages m'ont autant chamboulée que les Contemplées et c'est peu dire que voilà un des meilleurs livres que j'ai lu depuis un certain temps. Son autrice? Pauline Hillier, que je ne connaissais pas auparavant mais que j'ai eu l'occasion de rencontrer lors du festival Politéïa où elle intervenait sur le thème de la privation de liberté. Elle était venue raconter son emprisonnement dans la prison de Tunis, la Manouba, à cause de son intervention du 29 mai 2013 devant le tribunal de la ville, où accompagnée de deux autres Femen, elle manifestait seins nus pour faire libérer Amina, une Femen tunisienne. Interpellée pour attentat à la pudeur, Pauline Hillier est donc incarcérée sur le champ pour une durée de détention de quatre mois. De cette expérience traumatisante naîtra des années plus tard un roman autobiographique, Les Contemplées, paru en février 2023. Le titre de l'ouvrage tient autant au fait que le seul livre que lui avaient laissé ses gardiennes était Les Contemplations de Victor Hugo, et qu'elle a pu observer, voire aimer, ses codétenues du Pavillon D.
Ce livre se veut donc un hommage à l’histoire de ces femmes, qui victimes d'une société patriarcale, victimes de revers plus ou moins brutaux, se sont retrouvées pour nombre d'années dans les murs de la Manouba. Ces femmes, qui malgré des différences de culture et de religion, mais en prison on ne juge pas, ont été des soutiens indispensables à l'autrice pour survivre dans un tel lieu. Des soutiens matériels qui ont permis à la jeune française de pouvoir manger, se laver, se vêtir ou cantiner. Mais aussi un soutien moral et affectif pour l'épauler dans cette épreuve. Et c'est à partir de notes prises dans son recueil des Contemplations que Pauline Hillier va pouvoir redonner vie à ces femmes laissées pour compte et nous transmettre leur capacité de résilience. Hafida, la spécialiste des chèques en blanc, la Cabrane, la cheffe du pavillon multimeurtrière, Fuite, la jeune lycéenne qui a voulu triché pour un examen, Boutheina, la doyenne, une tueuse également, et d'autres des 27 détenues, séduites par le jeu des lignes de la main, racontent jour après jour à la narratrice les moments où leur vie a basculé. Alors dans ce no woman's land, tout se brouille et les graves délits commis par certaines de ces femmes n'empêchent pas une humanité toujours présente. Mais c'est aussi un univers d'odeurs que l'autrice nous fait vraiment respirer, souvent les pires odeurs, de vomi, de crasse, de pisse , de sueur, d'égouts. Un univers de chaleur difficilement supportable dans la cellule comme dans le fourgon qui emmène les détenues aux audiences. Un univers d'obscurité dans des cellules peu éclairées et surtout dans ce fameux fourgon, une des pires épreuves vécue par l 'écrivaine. Un univers de promiscuité permanente avec les prévenues et même avec les cafards et autres bestioles. Mais cette promiscuité fait aussi naître de beaux moments de vie autour des repas, des jeux, de la télévision et de la lecture des lignes de la main.
Voilà donc un beau livre très émouvant, d’une écriture sobre mais cependant travaillée, en aucun cas mélodramatique, que l’on quitte difficilement. Un témoignage sur la vie en prison dans une société patriarcale et religieuse où les femmes semblent condamnées à une double peine au point que l’on peut se demander si la sororité née des épreuves communes n’est pas plus douce pour certaines d’entre elles que la vie au dehors. Quant à l’autrice, elle a connu dans cet emprisonnement un autre forme de solidarité féminine que celle qu’elle avait rencontrée dans ces expériences précédentes, ce qui l’a certainement changée définitivement.